Les mains jointes, en une prière solennelle, Philibert Delope ne pensait à rien, si ce n’est à la tendre Déesse Ellyn. Il attendit que les cloches sonnent avant de quitter cet état d’esprit et de se relever. Il prit la peine de saluer poliment le grand prêtre, et les quelques autres fidèles, avant de quitter les lieux.
La nuit commençait à peine à étendre son voile au-dessus de la Cité et pourtant les rues étaient toutes animées. Certains se réfugiaient le plus vite possible chez eux, tandis que d’autres profitaient des quelques troubadours présents en ville. Un divertissement pour une maigre poignée de pièces quotidienne. Un moindre investissement selon lui.
Préférant ne pas se mêler à la foule qui observait l’une des compagnies, et obstruait presque entièrement la rue, il décida de couper par une ruelle voisine. Il eut à peine le temps de faire quelques pas dans celle-ci qu’il en ressorti aussitôt. Un homme en armure venait de plaquer un civil contre le mur. Le genre d’altercation dont on préfère ne pas se mêler. Ainsi disparu-t-il dans la foule. Tant pis s’il fallait se mêler à ces roturiers.
Eirlys poussa un bâillement à s’en décrocher la mâchoire. Décidément, cette nuit-là ne semblait pas le moins du monde agitée. Cela faisait un bon bout de temps déjà qu’Arhan et elle patientaient sagement devant le Mur des Rumeurs : un long corridor où l’on épinglait les parchemins relatant les missions disponibles. Il y en avait bien une petite douzaine de libres, mais aucunes qui ne correspondaient au duo. D’ordinaire, les parchemins allaient et venaient, se remplaçant très rapidement dans la journée. La soirée était habituellement elle aussi assez soutenue. Mais pas celle-ci…
Lorsque le moindre bruit de pas se faisait entendre, Eirlys tendait l’oreille, sans se redresser pour autant. Allongée sur un banc de pierre, les poignets sous la nuque, -il faut dire, c’est à peine si Arhan avait de la place pour lui-même- elle levait juste les yeux vers l’intrus. Ou le messie qui leur offrirait enfin de quoi occuper leur soirée. Ce qui arriva enfin, mais très tard dans la soirée.
Elle reconnut rapidement la démarche de l’un des informateurs qu’elle connaissait bien, puis, levant l’œil, sa tenue au loin. S’étirant de tout son long avant de se lever, elle se dirigea directement vers lui, aussi rapidement qu’il lui était possible de le faire :
-De quoi s’agit-il ?
-De vol à la tire je dirais.
-Alors c’est pour nous, lança-t-elle en lui retirant le parchemin des mains
-Tu pourrais au moins me laisser le temps de le fixer au mur… fit-il sur un faux ton de reproche
-Tu plaisantes ? Plus tôt on s’en chargera, plus tôt j’entendrais les pièces du client sonner contre mes hanches.
Elle se détournait déjà avant qu’il ne puisse en plaisanter. Elle réalisa une rapide lecture du document avant de le tendre à Arhan, tout sourire :
-Qu’est-ce que tu en dis ? On va faire une promenade sous les étoiles ?
Il ne leur fallut pas longtemps pour trouver la maison du noble qui avait rédigé la requête. Ni de s’infiltrer à l’intérieur sans se faire repérer. Il suffit d’avoir la volonté de vouloir entrer pour pouvoir passer. Et il suffit d’être assez malin pour se faire aussi discret qu’un murmure. La lumière qui filtrait sous l’une des portes de la demeure les mena directement au bureau de leur client et au client lui-même. Il ne put retenir un sursaut en les voyant entrer sans s’être fait annoncés, ni s’être douté qu’ils étaient là.
Capuchon rabattu, Eirlys s’avança vers l’homme, suivit de son compagnon, et fit doucement glisser le parchemin sur le bureau, qui était aussi lustré que pouvait l’être le crane de leur interlocuteur. Sur chaque requête, il y avait un résumé des exigences et des revendications, ainsi que le prix des honoraires. Le vrai prix, ainsi que les règles du jeu, se fixaient maintenant et il n’y aurait que lorsque les trois signatures seraient apposées dessus qu’il serait réellement essentiel. D’ici-là ce n’était généralement qu’un vulgaire document sans importance.
Joignant ses mains sous son menton, l’homme les dévisagea longuement avant de prendre la parole :
-Je suis Philibert Delope et je m’engage à vous verser dix pièces d’or marquées par le Caer si vous acceptez et menez à bien ma requête.
Il inspira profondément, plus pour passer un moment d’incertitude de que par pure nécessité, avant de reprendre :
-Cette nuit, un groupe d’hommes m’a menacé avant de prendre mon argent et fuir avec, me laissant sans argent et… blessé dans ma dignité. Je veux que vous récupérez cette bourse qui est la mienne.
-Que contient-elle ?
-De l’or.
-C’est tout ?
-De l’or vous dis-je.
-Pouvez-vous expliquez les faits ?
-Je vous l’ai dit, ils m’ont agressé.
-Pour quel raison, en quelle circonstance ?
-Je… Je me trouvais près de l’allée de l’Empereur, non loin de l’auberge des Griffons. Je ne faisais que passer et ils m’ont contraint à rejoindre une ruelle adjacente avant de me dépouiller.
-Pouvez-vous faire une description ?
-Des hommes assez bourrus, tous de chevelure sombre. Ils portaient des capes grises et une tenue de cuir au-dessous.
-Avaient-t-ils un accent, un parfum ?
-Eh bien… Je ne pense pas, je n’ai pas fait attention…
-Concentrez-vous.
-Peut-être… une odeur de sel. Je pense qu’ils sentaient le sel. Et la bière.
-Quelles étaient leurs armes ?
-Ils n’en avaient pas.
-Etes-vous sûr ?
Philibert déposa ses mains à plat sur le bois poli de son bureau. Il se leva lentement et mit quelques pas vers la fenêtre, observant les lumières nocturnes de la Cité.
-Je ne me rappelle plus…
L’amnésie chez une victime était chose courante. Suite à un choc phycologique trop intense, il arrive que des détails soient éliminés, comme s’ils étaient censurés par l’esprit. Eirlys émit un soupir. Cette information aurait pourtant pu leur être bien utile. Ils allaient devoir faire sans et redoubler de vigilance.
Elle échangea un long regard avec Arhan et décida de conclure l’accord. Elle n’eut qu’à émettre un petit raclement de gorge afin que Philibert se tourne à nouveau vers eux :
-Au nom de la Guilde des Voleurs, vous êtes assurez que Double-Lame et Brise joueront leur vies sur votre requête. Nous vous rapporterons votre bourse pour dix pièces d’or chacun.
L’homme hésita puis acquiesça doucement. Elle reprit alors sa déclaration :
-Nous reviendrons devant vous seulement si la mission est une réussite et procèderons donc à l’échange. En cas d’échec, vous n’aurez rien à débourser et nos corps seront rendus à la Guilde.
Bien entendu cette mission n’était en rien dangereuse. Ils n’avaient qu’à retrouver le groupe pour régler l’affaire, rien de bien compliqué. Mais ce détail apporta un peu plus de lividité au visage de leur commanditaire. Il retourna à son bureau et signa le document d’une main experte, y apposant son sceau. Eirlys retira l’un de ses poignards et se piqua l’extrémité de son index avec la pointe. Une minuscule perle rougeoyante germa au bout de son doigt, qu’elle écrasa ensuite sur le parchemin, laissant une empreinte digitale parfaite dessus. Arhan fit de même avec son propre attirail :
-Gardez-le précieusement, comme si votre vie en dépendait.
De l’air, enfin ! Eirlys avait horreur de rester enfermée, à moins que ça ne soit au sein de la Guilde. Une nouvelle fois, ils avaient quitté la demeure à la barbe des domestiques du nobliau. La demoiselle nota dans son esprit qu’elle pourrait peut-être y retourner afin d’y dérober un petit quelque chose s’ils ne changeaient pas leurs habitudes.
-Tu ne trouves pas ça étrange qu’il soit passé de dix à vingt pièces d’or sans broncher ? Il doit vraiment y tenir à sa bourse pour miser tant dessus.
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Sujet: Quelques pièces écarlates 
Dim 30 Déc - 18:15